" Cette voix de l'Autre qui doit être considérée comme un objet essentiel. "
Jacques Lacan
(L'angoisse, 1963)
Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
" Cette voix de l'Autre qui doit être considérée comme un objet essentiel. "
Jacques Lacan
(L'angoisse, 1963)
je ne fais qu’ici mal occuper l’espace
je voulais juste te serrer en mes bras
Alors
Je paressais face à ton triangle de fougère
cet isocèle de mes manques
fleur d’oranger oh senteur étrangère
je paressais face au vent des montagnes illusoirement escaladeur
et du monde querelleur
et ma faiblesse aux dires des autres avec fadeur
mon infirmité chronique
des culs blancs butinaient cuirassés de sucs
cuisaient tu t’ennuyais
je retournais aux montagnes malignes
me perdre pacifiste aux fleurs des champs
que la ville était laide sans habitants
assouvi du vent irréelle dénudée
rassasié de tes lettres et clés
en ivresse de tes baumes tes benjoins
je minaudais à une fleur tes desseins bafouais tes amis tes amies
incapable de comprendre
c’est ta jeunesse c’est ta jeunesse qui fut ma fanfare mon fanal mes branches
ton corsage était mon pays mes cosses mes gousses
pourquoi si loin suis-je
tes lèvres bleues éblouies
et mon âme caillasse éboulis alluvions
le vent m’épluchait avec rudesse
échappé de tous tes toits
ici je ne fais qu’occuper l’espace
alors je voulais juste te serrer dans mes bras
ton corps dénudé est ma plage d’été
mon delta immense d’ivrogne
j’éjectais des liquides
j’élaguais mes noirceurs
jour après jour tu disparaissais
monolithe monstrueux immense
pourquoi sommes nous si délaissés
de toutes ces romances fanées
je suis raide en moi même
de tant d’épreuves moroses
et ta peau triste avait un si beau rose
ici je ne fais qu’occuper l’espace, mal
alors que je voulais tout juste …
"Les amoureux" / Emile Friant / 1888
Qu’ y a t il au fond du fond
derrière le tableau noir, le noir
Aux trous, d’autres trous
Et derrière les papiers jaunis en fin de vie, des papiers morts
Derrière les jouets d’enfants, des jouets cassés
Ou juste vieillis
Blessures enchevêtrées
Il y a le grand temps qui est passé, qui a passé comme mort en décours ; les effluves nostalgiques en force,
Les souvenirs de ma mère et ses collants couleur chair que j’aimais toucher
Mon père qui rentrait tard et sa pipe et son sourire bleu
légèrement découragé
Et le petit balcon de l’immeuble et voir un peu de verdure : arbres, arbustes, gazon, rosiers ; bac à sable, parfait pour mes courses de vélo, billes et cyclistes
Eddy Merckx, Luis Ocana, Joop Zoetemelk, Lucien Van Impe
Les caves et leur labyrinthe de tuyaux, de couloirs, de portes fermées, de recoins à se cacher
Toutes ces cachettes, c’était la joie des enfants et leurs sombres inquiétudes
L’immeuble comme poupe ou étrave, là battant le monde, les îles à découvrir, les trésors à gagner dans de légendaires enclaves vertes
Qu’ y a t il au fond du fond
Derrière le tableau noir, le noir
Aux trous, d’autres trous
Et derrière les papiers jaunis en fin de vie, des papiers morts
Derrière les jouets d’enfants, des jouets cassés
Ou juste vieillis
Ou des blessures enchevêtrées
Le grand corsage du temps changeant a tout enveloppé
tout dévoré comme un bon levain
Restent les mystères de la mère aimée, la hiérarchie des désirs, les fleurs fanées qui se plaignent
Et le plafond lézardé de mes envies de vivre
JE TE DONNE
Les fleurs à inventer les jouets d'une comète
Les raisons d'être fou la folie dans ta tête
Des avions en allés vers tes désirs perdus
Et moi comme un radar à leurs ailes pendu
Des embruns dans tes yeux et la mer dans ton ventre
Un orgue dans ta voix chaque fois que je rentre
Des chagrins en couleur riant à ton chevet
Les lampes de mes yeux pour mieux les éclairer
Les parfums de la nuit quand ils montent d'Espagne
Les accessoires du dimanche sous ton pagne
Les larmes de la joie quand elle est à genoux
Le rire du soleil quand le soleil s'en fout
Les souvenirs de ceux qui n'ont plus de mémoire
L'avenir en pilules toi et moi pour y croire
Des passeports pour t'en aller t'Einsteiniser
Vers cet univers glauque où meurent nos idées
Des automates te parlant de mes problèmes
Et cette clef à remonter qui dit " je t'aime "
Un jardin dans ton coeur avec un jardinier
Qui va chez mon fleuriste et t'invite à dîner
Des comptes indécis chez ton marchand de rêves
Un sablier à ton poignet des murs qui lèvent
Des chagrins brodés main pour t'enchaîner à moi
Des armes surréelles pour me tuer cent fois
Cette chose qu'on pense être du feu de Dieu
Cette mer qui remonte au pied de ton vacarme
Ces portes de l'enfer devant quoi tu désarmes
Ces serments de la nuit qui peuplent nos aveux
Et cette joie qui fout le camp de ton collant
Ces silences perdus au bout d'une parole
Et ces ailes cassées chaque fois qu'on s'envole
Ce temps qui ne tient plus qu'à trois... deux... un...
zéro
Je te donne TOUT ÇA, MARIE!
Lorsque l’enfant était enfant
Lorsque l’enfant était enfant,
Il marchait les bras ballants,
Il voulait que le ruisseau soit rivière
Et la rivière, fleuve,
Que cette flaque soit la mer.
Lorsque l’enfant était enfant,
Il ne savait pas qu’il était enfant,
Tout pour lui avait une âme
Et toutes les âmes étaient une.
Lorsque l’enfant était enfant,
Il n’avait d’opinion sur rien,
Il n’avait pas d’habitude
Il s’asseyait souvent en tailleur,
Démarrait en courant,
Avait une mèche rebelle,
Et ne faisait pas de mimes quand on le photographiait.
Lorsque l’enfant était enfant,
ce fut le temps des questions suivantes :
Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi … pas là ?
Quand commence le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est pas qu’un rêve ?
Ce que je vois, entend et sens, n’est-ce pas…
simplement l’apparence d’un monde devant le monde ?
Le mal existe t-il vraiment
avec des gens qui sont vraiment les mauvais ?
Comment se fait-il que moi qui suis moi,
avant de le devenir je ne l’étais pas,
et qu’un jour moi… qui suis moi,
je ne serais plus ce moi que je suis ?
Lorsque l’enfant était enfant,
Les pommes et le pain suffisaient à le nourrir,
Et il en est toujours ainsi.
Lorsque l’enfant était enfant,
Les baies tombaient dans sa main comme seule tombent des baies,
Les noix fraîches lui irritaient la langue,
Et c’est toujours ainsi.
Sur chaque montagne,
il avait le désir d’une montagne encore plus haute,
Et dans chaque ville,
le désir d’une ville plus grande encore,
Et il en est toujours ainsi.
Dans l’arbre, il tendait les bras vers les cerises, exalté
Comme aujourd’hui encore,
Etait intimidé par les inconnus et il l’est toujours,
Il attendait la première neige et il l’attend toujours.
Lorsque l’enfant était enfant
il a lancé un bâton contre un arbre, comme une lance,
Et elle y vibre toujours.
***
Lied vom Kindsein – Song of Childhood – Peter Handke
J’ai peu de choses à dire au fond je cherche peu de choses |
" Lorsque viendra le printemps,
si je suis déjà mort,
les fleurs fleuriront de la même manière
et les arbres ne seront pas moins verts qu'au printemps passé.
La réalité n'a pas besoin de moi.
J'éprouve une joie énorme
à la pensée que ma mort n'a aucune importance.
Si je savais que demain je dois mourir
et que le printemps est pour après-demain,
je serais content qu'il soit pour après-demain.
Si c'est là son temps, quand viendra-t-il sinon en son temps ?
J'aime que tout soit réel et que tout soit précis ;
et je l'aime parce qu'il en serait ainsi, même si je ne l'aimais pas.
C'est pourquoi, si je meurs sur-le-champ, je meurs content,
parce que tout est réel et tout est précis.
On peut, si l'on veut, prier en latin sur mon cercueil.
On peut, si l'on veut, danser et chanter tout autour.
Je n'ai pas de préférences pour un temps où je ne pourrais plus avoir de préférences.
Ce qui sera, quand cela sera, c'est cela qui sera ce qui est."
F Pessoa
Extrait des "Poèmes Desassemblés" ( poésies d'Alberto Caeiro, 16ème poème )
"Le regard est la grande arme de la coquetterie vertueuse."
Stendhal
" Et c'est vraiment de ça qu'on a besoin : peu de mots et une porte toujours ouverte."
Gianmaria Testa
Au paradis des jaunes
les viornes tin sont en deuil
vertes et
cornettes noires aux bouquets qu’on offrirait
buplèvres en ligne encore droits comme sentinelles
jalonnent en garde-à-vous lavés
buis toujours vert aux tiges en feuilles
Dans
les érables vomissent leur jaune et pissent aux liserons
mordorés et leurs cheveux jonquille
dans des corbeilles d’or
lentisques fiers qui friment
aux térébinthes essences
larges pistachiers d’or éclatent en lingots singuliers
Sumacs-fustets aux couleurs d’or
Toutes ces variétés abricot paillées
tous ces cotinus pleurent leur beurre frais
en lits de forme citron pailleux
Rouvres chênes encore de vermeil, de safrané,
D’un ocre blond
Aux ajoncs sales javellisés
le monde est en jaunisse totale
orageusement trouble
comme une immense jatte de soufre
et sans ces taches, ces jaunissements, ce vieillissement
il y a le ciel topaze et ces raies de gris, ces gros nuages
de l’orage – pluies de mirabelles – des prunes de feuilles
ivre automnal boit-sans-soif vivant
animé, sauvé dans ces ocres, ces jaunes, ces verts
alors, la vie en est augmentée comme le long des grands fleuves
Feuilles pourries des aulnes, spleens en mort cérébrale,
Manne ivoirine des arbres perdus, penchés, peinés,