Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Que dire de ce poème écrit à 19 ans
en prose ... et qui commence et finit par un octosyllabe… ?
Il vient d’ « Illuminations » le dernier recueil de Rimbaud ; « Illuminations » au sens d’enluminures (somptuosité de la couleur) mais aussi visions hallucinatoires.
Le jour se lève, le poète se promène …
Notion à la fois temporelle et prise de position sensuelle.
Le dernier vers arrive brutalement comme un échec.
Rimbaud pousse un cri de victoire : il croit avoir saisi l’insaisissable : l’aube, la blancheur, pureté, luminosité, splendeur, éclat, richesses … C’est une féerie précieuse et pure, riche de sonorités puissantes. L’harmonie physique entre l’homme et la nature semble être là, avec le mythe des nymphes et la poursuite amoureuse qui s’en suit.
8 fois « je » sera employé ; passé composé, imparfait ensuite.
Une ville apparaît, flaques d’eau ; immobilité et ténèbres, l’aube n’est pas encore apparue ; les ombres semblent hostiles et fortes.
Le poète ne devient plus témoin, mais bien créateur : et c’est le réveil du poète qui peut être assimilé à un acte magique ; le réveil se fait avec le passé simple. Au début les sonorités sont étouffées, sourdes puis elles deviennent claires, sonores : c’est le début de l’éveil à la nature.
Pourquoi Rimbaud chasse la déesse à la fin ?
La poursuite serait infinie ? telle est peut-être cette signification ?
En agitant les bras, l’enfant devient coquasse, mais aussi prend une signification païenne, dionysiaque (au sens antique, mais aussi philosophique), l’ivresse vitale : orgies, danses… C’est une nymphe poursuivie par Pan. Séductrice dangereuse. Sexualité adolescente ?
Une signification à la fois érotique et religieuse. De même vocabulaire guerrier et valeur érotique très nette. La déesse c’est l’aube.
Contraste entre le mendiant et le marbre : pauvreté et recherche du don de l’aube, de son obtention ; encore une fois un parfait tableau symbolique.
Mais c’est une illusion de possession. Et la dernière strophe est ambiguë : les lauriers évoquent les victoires, la gigantesque déesse est attrapée par l’enfant, par un simple mortel.
L’enfant est le poète, le poète est l’enfant : la fin de la phrase montre un émerveillement : seul l’enfant peut transformer le réel. L’aube est alors une renaissance.
Le monde : conscience du poète ?
Il y a donc une valeur symbolique, une enluminure sensuelle mais douloureuse : la poursuite d’un rêve insaisissable et l’aube est l’émerveillement de l’enfance (qui ne survivra pas à la vieillesse). A aucun moment le soleil n’est cité dans ce poème.
Quand est arrivé le rêve ? où est l’état conscient ? cette duplicité est un des charmes de ce texte.
Art de ce genre de poème ? = sa discontinuité , la rencontre d’images et de poésies libérée. Hypnose ? prémisses du surréalisme ?
Rimbaud est définitivement un paganiste, à la recherche d’un idéal inaccessible.
Poème symboliste, lyrique, paganiste, surréaliste, et plus encore.
Il y a tout Rimbaud là-dedans
Rimbaud finissant son enfance, Rimbaud déçu de l’arrivée d’un âge « adulte ».
Rimbaud : un des premiers Peter Pan
Passant de l’autre côté (l’âge adulte), il s’éteindra dans des activités qui ne seront jamais siennes (comme gagner de l’argent, faire des affaires, quitter l’insouciance de la jeunesse…)
Où donc est le grand roman africain qu’il a quand même dû écrire dans sa tête ? ou rêver simplement ?
L’Aube un grand poème charnière vers la poésie moderne…
Arthur Rimbaud ? définitivement quelqu’un d’autre, tout autant l’enfant poète que l’adulte voyageur-géographe…
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